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ÉLIMINATION DU FRANÇAIS DES BREVETS D’INVENTION

Denis GRIESMAR
Vice-Président
Société Française des Traducteurs (S.F.T.)
Adresse personnelle :
324, rue de l’Hôtel-Dieu
F 60370 SAINT FELIX

à

Madame Louise BEAUDOIN
Ministre
Ministère des Relations Internationales
525, boul. René- Lévesque Est, 4e Etage
Québec (Québec) G1R 5R9

Le 12 mai 2000

Objet : l’anglais bientôt langue officielle en France ?

Madame,

Le Gouvernement du Québec, nous le savons tous, est profondément
attaché à la sauvegarde de notre langue, garant de notre identité commune. Ainsi, nous
vous sommes très reconnaissants de votre action récente et efficace contre la tentative
d’Air France visant à interdire à ses pilotes de parler français.

La question pour laquelle nous souhaitons aujourd’hui votre
intervention, celle de L’ELIMINATION DU FRANçAIS dans les BREVETS D’INVENTION, avait
connu une solution favorable en 1997, grâce notamment aux efforts de M. Sylvain SIMARD
(lettre jointe).

Cependant la pression des grandes multinationales anglo-saxonnes,
malheureusement relayée par quelques sociétés françaises, et par un petit groupe de
fonctionnaires du Secrétariat d’Etat français à l’Industrie à Paris, ne s’est pas
relâchée.

Alors que les plus hautes autorités politiques, et les parlementaires,
tant français qu’européens ou québécois (comme Madame Francine LALONDE), nous ont
toujours donné raison, ce petit groupe de fonctionnaires français poursuit son travail
de sape, ayant obtenu de son Secrétaire d’Etat un mandat exploratoire qui, sous pré
texte de "réduction des coûts", risque d’aboutir à instaurer l’anglais comme
langue officielle de la France.

Ce projet, qui vise à remplacer le texte français des brevets par un
résumé, d’ailleurs confié à une société américaine (!), établirait pour la
première fois une asymétrie entre les langues, et une vassalisation du français, car
aucune réciprocité n’est évidemment envisagée par les Etats-Unis. Seul le texte
anglais ferait foi.

Lorsqu’on sait que de nombreux scientifiques francophones publient
directement en anglais, il apparaît clairement que la langue française en serait
décapit ée, et deviendrait peu à peu incapable de désigner les nouveautés
scientifiques et techniques. Les multinationales anglo-saxonnes seraient les seules
bénéficiaires de ce bouleversement. Et si quelques sociétés françaises leur
emboîtent le pas, cela ne peut signifier qu’une chose : elles ont décidé d’abandonner
le français comme langue de travail en France même, en violation de nos Lois et de notre
Constitution.

Or ceux qui croient que l’on peut gagner des batailles, fussent-elles
économiques, en n’ayant plus ni drapeau, ni langue, ni rien qui nous permette encore de
dire "nous", se trompent, et nous trompent.

Outre qu’elle mettrait au chômage les professionnels et
déstabiliserait tout un secteur de l’économie, privant les petites et moyennes
entreprises de conseils de proximité, une telle mesure donnerait le signal de la
débandade dans nombre de domaines, et ne pourrait être reçue que comme une gifle par
les francophones du monde entier. Il est clair que le petit groupe de fonctionnaires en
question, qui s’est arrogé un pouvoir dépassant manifestement ses compétences, n’a pu
envisager toutes les conséquences de ses manœuvres.

Les arguments économiques opposés à la traduction en français des
brevets, lesquels sont des contrats créateurs de droits opposables à tous, semblent peu
pertinents si l’on sait que la prise de brevet ne représente que 5% des coûts de
recherche-développement menant à une invention, et que la traduction ne représente
qu’une fraction de ces 5%. Quant au différentiel de coût initial parfois allégué entre
le brevet européen et le brevet américain, il serait vite renversé par les frais
d’avocats qu’entraînerait la multiplication des contentieux.

Au reste, les principaux pays d’Europe n’ont aucune intention de
procéder à un tel abandon unilatéral de souveraineté, qu’il s’agisse des pays de
l’Europe du Sud ou de l’Allemagne, qui compte sur la présence à Munich de l’Office
Européen des Brevets pour établir de fait un bilinguisme anglo-allemand dans ce domaine.

Il serait aberrant d’aboutir à une situation dans laquelle une base de
données essentielle serait toujours disponible dans les principales langues européennes,
mais non en français. Certes, la littérature des brevets est sous-utilisée par les
petites et moyennes entreprises, mais la solution de ce problè me réside dans une
sensibilisation et des mesures fiscales et para-fiscales appropriées, et non dans une
politique d’abandon.

Il est aberrant que les mesures catastrophiques en question soient
préparées par une poignée de technocrates non élus, et dans le plus grand secret, sans
qu’ait eu lieu le moindre débat démocratique dans un quelconque pays d’Europe sur
l’établissement du monolinguisme anglais, sous couvert d’une modification
"technique" de la Convention de Munich sur le brevet européen.

Il s’agirait là en tous cas d’une violation de l’engagement pris par
les chefs d’Etat et de Gouvernement des pays francophones lors du sommet de Hanoï,
matérialisé par le Plan d’action mentionnant nommément le problème des brevets, et au
respect duquel il convient de rappeler les services du Secrétariat d’Etat fran çais à
l’Industrie.

Les documents joints vous apporteront de plus amples précisions sur
cette question urgente, et nous restons à votre disposition pour tous renseignements
complé mentaires.

Dans l’espoir que vous pourrez arrêter à temps cette grave offensive contre notre
langue et notre identité, je vous prie de recevoir, Madame, l’expression de ma haute
considération.


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