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DIX ANS DE L’INFÂME LOI 2 EN SASKATCHEWAN

Dix ans de l’infâme Loi 2 en Saskatchewan



Richard Nadeau
Président
Fédération des Francophones de Saskatoon

Le samedi 25 avril 1998 marquera le dixième anniversaire de l’adoption de l’infâme Loi 2 (1988) en Saskatchewan. Cette loi déclara la Saskatchewan unilingue anglaise en annulant l’article 110 de la Loi des Territoires-du-Nord-Ouest.

Le tout avait débuté en 1980 par une contravention pour délit mineur au code de la route rédigée uniquement en anglais. Le père André Mercure du hameau de Cochin en Saskatchewan contesta sa contravention stipulant que l’article 110 de la Loi des Territoires-du-Nord-Ouest était toujours en vigueur. Cet article garantissait des droits à des services en français et en anglais dans le vaste territoire qui comprenait à l’époque de sa sanction royale les actuels Alberta et Saskatchewan. Lorsque la Saskatchewan s’est jointe à la Confédération canadienne en 1905, il était convenu dans l’Acte de la Saskatchewan que toutes les lois des Territoires demeuraient en vigueur. Ayant échelonné sans succès toutes les étapes des cours provinciales pour démontrer l’invalidité de la contravention unilingue, le cas Mercure fut entendu à la Cour Suprême en novembre 1986.

Le 25 février 1988, la Cour Suprême du Canada rendait un jugement fort attendu par la Fransaskoisie. La plus haute cour du pays donnait raison au père Mercure et ainsi déclarait que le dit article 110 était toujours en vigueur. La Loi des Territoires-du-Nord-Ouest garantissait des droits en français à sa population. Mais dans le même jugement, la Cour suprême souligna que cette Loi pouvait être amendée ou annulée par le gouvernement de Régina. Précisons, dans le cas présent, que tout changement nécessite l’accord des gouvernements de la Saskatchewan et du Canada car l’article 110 de cette Loi touche la question des langues officielles, domaine protégé par la Constitution canadienne(1).

Ainsi cette Victoire fut de courte durée pour le fait français en Saskatchewan.

Dès l’ouverture de la session parlementaire, au printemps de 1988, le gouvernement Devine présenta le projet de loi no. 2 qui annulait l’article 110 de la Loi de Territoires-du-Nord-Ouest et déclarait ainsi la province unilingue anglaise. La Loi 2 fut adoptée en 3e lecture le lundi 25 avril 1988 et obtint l’assentiment royal le lendemain. Pour le président de l’Association culturelle franco-canadienne de la Saskatchewan (ACFC) de l’époque. Me Rupert Baudais, cette loi était une insulte, elle laissait mensongèrement sous-entendre que le fait français n’avait jamais existé en Saskatchewan2.

Pour ajouter l’injure à l’insulte, le Premier ministre Grant Devine avançait, à Saskatoon, appuyé de Robert Bourassa alors Premier ministre du Québec, en conférence de presse conjointe, que cette loi décriée par la Fransaskoissie, pavait la voie vers l’adoption du bilinguisme officiel en Saskatchewan dans 10 à 15 ans, soit vers 1998 à 2003!!!(2). Bourassa, plus intéressé à l’adoption de Meech qu’au sort de la Fransaskoisie, déclara que Devine faisait ainsi "un pas en avant" et démontrait une "attitude responsable" envers la minorité francophone de la Saskatchewan(3).

Me Yvon Fontaine, président de la Fédération des communautés francophones et acadiennes du Canada (FCFAC) lors de cette tristement célèbre saga, n’y alla pas de main morte, "[la Loi 2] était un affront sans équivoque" et démontrait, à son avis, "la vraie nature de l’accord du Lac Meech pour les francophones minoritaires, soit celle d’être à la merci des provinces dans la réduction de ses droits tout en ne faisant rien pour les protéger"(4).

Pour l’ancien Commissaire aux langues officielles D’Iberville Fortier, l’adoption de la Loi 2 était "une bien triste journée pour le Canada", de même pour le critique libéral fédéral aux langues officielles de l’époque, Jean-Robert Gauthier, qui voyait là "le baisé de la mort" pour la minorité francophone(5).

Le chef de l’Opposition officielle en 1988, Roy Romanow, déclara que la société finira par s’effondrer en adoptant des attitudes, entre autres, anit-minorités, anti-autochtones et anti-francophones. Aussi en se prononçant contre la Loi 2, Romanow mettait en évidence que cette loi s’opposait au fait que la "minorité francophone hors Québec représente une caractéristique fondamentale du Canada"(6).

Nous savons que cette Loi 2 est néfaste pour la Fransaskoisie. Elle est l’objet d’un ethnocide continu de la part de l’état provincial saskatchewannais sous le regard complice de l’état canadien. Comme l’avance le sociologue fransaskois Wilfrid Denis de l’University of Saskatchewan, "lorsqu’un group minoritaire ressent que sa langue n’est pas valorisée dans la société majoritaire, il a tendance de cesser de l’utiliser à domicile"(7). De poursuivre, le sociologue Denis avance que le débat ici n’est pas de savoir combien de lois le provincial pourrait traduire avec l’argent du fédéral mais bel et bien "d’obtenir la reconnaissance formelle que le français est une langue officielle en Saskatchewan afin de paver la voie vers un plus grand nombre de services dans notre langue(8)"

Dix ans plus tard, la Fransaskoisie attend toujours la reconnaissance formelle du gouvernement de la Saskatchewan à se proclamer province officiellement bilingue. Nous avons nul autre que le doyen des Premiers ministres provinciaux et d’office celui qui pilote le dossier de l’Unité canadienne, soit Roy Romanow, comme chef du gouvernement. Lors des rencontres publiques concernant la Déclaration de Calgary en novembre dernier, la Fédération des Francophones de Saskatoon (FFS) et l’ACFC on fait entendre haut et fort, mémoire à l’appui, qu’il est plus que temps que la Saskatchewan démontre sa qualité de chef de file dans le domaine d’une réconciliation nationale en déclarant formellement que dans sa province, le français et l’anglais sont sur un même pied d’égalité. L’avenir du Canada en dépend.

Plutôt que de prêcher dans le désert les mérites de la Déclaration de Calgary, qui n’intéresse personne au Québec ni au Canada, Roy Romanow, le nouveau capitaine Canada, ferait mieux de passer de la parole aux actes. Que le gouvernement Romanow et les autres gouvernements des provinces à majorité anglaise reconnaissent que dans leur province, le français et l’anglais sont sur un pied d’égalité et qu’ils commencent à traiter les francophones et Acadiens aussi bien que le gouvernement du Québec traite sa minorité anglo-québécoise!

Richard Nadeau, Président
Fédération des Francophones de Saskatoon
Avril 1998


1. Vern Greenshields, "French Sask. Trial hinges on ruling by Supreme Court," dans The Star Phoenix, Saskatoon, 10 février 1988, p. A8.

2. .."New language law ‘outrageous insult`, Francophones say rights lost,"dans The Star Phoenix, Saskatoon, 5 avril1988, p. A1.

2. Kathryn Warden, "French language rights issue far from resolved in Saskatchewan," dans The Star P hoenix, Saskatoon, 16 avril 1988, p. B5

3. Kathryn Warden, "Bourassa endorses language policy" dans Kathryn Warden, "Bourassa endorses language policy" dans The Star Phoenix, Saskatoon, 14 avril 1988, p. B5

4. ..(Canadian Press), "Sask. law `small step toward linguistic duality" dans The Star Phoenix, Saskatoon, 6 avril 1988, p. A9.

5. ..(Canadian Press), "Sask. law `small step toward linguistic duality" dans The Star Phoenix, Saskatoon, 6 avril 1988, p. A9.

6. Randy Burton, "Language law legality doubtful; Romanow,"dans The Star Phoenix, Saskatoon, 6 avril 1988, p. A9.

7. Kathryn Warden, "Law will hasten assimilation of francophones: Sociologist," dans The Star Phoenix, Saskatoon, 29 avril 1988, p. A1.

8. Kathryn Warden, "Law will hasten assimilation of francophones: Sociologist," dans The Star Phoenix, Saskatoon, 29 avril 1988, p. A1.


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