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DISCOURS PATRIOTIQUE

DISCOURS PATRIOTIQUE

L’expression « discours patriotique » soulève des évocations, certains
diraient des relents, d’envolées oratoires à l’emporte-pièce. Si je
m’envole, ce soir, je voudrais, bien sûr, que ce soit plus haut que le niveau des
pâquerettes, mais, tout de même, aussi près que possible du rase-mottes.

Et, puisque nous sommes au pays de l’électricité et du verglas, donc de la
technologie ultramoderne et de la nature indomptable, je voudrais même que ma courte
allocution soit au patriotisme ce que la prise de terre est à l’électricité. En
fait, après toutes ces circonvolutions que nous permet notre langue commune de si grande
lignée, qui nous parle tout autant de climat torride que de pergélisol, je résumerais
en disant que je voudrais surtout être terre à terre.

Patriotisme : l’on peut parler de Louis-Hyppolite Lafontaine ou de Louis-Joseph
Papineau, d’Henri Bourrassa ou de Marcel Chaput, de Gilles Vignault ou de Félix
Leclerc et de combien d’autres. Ceux-là ont laissé ou laisseront leur marque dans
les annales ou les livres d’histoire.

Ceux et celles dont j’aimerais parler, ce soir, ce sont ces personnes qui, en nous
donnant accès à l’instruction, aux livres et à la culture, nous ont ouvert les
portes de ce qui allait devenir le Québec, la société moderne et ouverte sur le monde
que nous formons aujourd’hui.

Ces hommes et ces femmes ne seront jamais des héros de romans, ne verront jamais de
statues érigées à leur mémoire, sauf peut-être quelque commune pierre tombale une
fois leur passage sur terre terminé. Ces Québécois et ces Québécoises dont je parle
n’auront jamais droit au chapitre dans l’histoire avec un grand H.

Je parle des parents qui ont engendré ma génération, nos pères et nos mères, qui
sont nés avec le siècle, qui ont dû subir les contrecoups directs ou indirects de deux
guerres mondiales et faire les frais d’une grave crise économique dans le premier
tiers de ce siècle.

Mon père, ma mère, votre père, votre mère. Pour certains ici, les grands-parents.
Ceux qui nous ont humblement tracé la voie du Québec dynamique actuel, qui nous ont
conduit à l’extraordinaire effervescence qui caractérise notre peuple
aujourd’hui.

Ils et elles avaient une première année d’étude, parfois une troisième,
exceptionnellement, une cinquième. Ils et elles ont travaillé dur toute leur vie,
élevé des familles de deux, cinq, dix et quinze enfants et, en plus de les nourrir, leur
ont donné ce dont ils et elles avaient été dépossédés : l’instruction. Il y a
quanrante ans, accéder aux études secondaires était l’apanage des familles de
notables. Accéder à l’université et à une profession était la caractéristique
d’une élite.

Mais, nos parents, avec pour seuls diplômes leurs bulletins de première, de
troisième ou de cinquième année d’étude, ont tourné la clé de la porte qui
ouvrait sur le savoir, ont bâti à même leur labeur quotidien le système
d’instruction publique démocratique dans lequel nous avons évolué ou évoluons, du
primaire à l’université.

Beaucoup d’entre eux, à cette époque, ne soupçonnaient même pas qu’il
existait une expression française, capot, pour le « hood » imposé par la langue des
affaires et, surtout, des possédants. D’autres n’avaient jamais acheté de la
farine, mais de la « fleur », donnant ainsi une consonnance française aux lettres
f-l-o-u-r qu’affichaient les sacs de ce produit qu’ils utilisaient tous les
jours. Et il en était ainsi d’une part importante du vocabulaire utilisé
quotidiennement, surtout dans les usines. Et quand ils payaient leurs comptes
d’électricité, ils faisaient leurs chèques à l’ordre de la Southern Canada
Power ou de noms apparentés. Combien d’entre nous sont nés dans un tel milieu ?

Dépossédés de l’instruction, nos parents étaient donc aussi dépossédés de
leur langue. L’attachement à leurs origines aura toutefois été le plus fort : ils
se sont saignés à blanc pour mettre sur pied les moyens et les institutions qui allaient
permettre à leur langue de devenir la langue commune qui nous rassemble aujourd’hui,
Québécois et Québécoises de toutes origines, la langue française. Qui dira les
sacrifices de cette génération qui a mis au monde le Québec que nous célébrons
aujourd’hui ?

Et si la Fête nationale des Québécois et des Québécoises doit se caractériser par
la fierté, c’est d’abord et avant tout à l’égard de ce vaste mouvement
de repossession que la génération du début de ce siècle a amorcé et par lequel elle
nous a rendu notre langue et notre culture, qui font de nous un peuple distinct en
Amérique et dans le monde. Et jusque dans les chansons et la musique que nous aurons le
bonheur d’entendre dans quelques instants.

La Fête nationale des Québécois et des Québécoises n’est la célébration ni
d’un mythe ni d’une pure abstraction de l’esprit. C’est une marque de
reconnaissance à l’égard de ceux et celles, en grand nombre, qui nous ont légué
notre identité collective en nous offrant les moyens de la reconquérir. C’est une
marque d’estime à l’égard de chacun de ces héros et de chacune de ces
héroïnes anonymes dont nous pouvons admirer la force tranquille et la tenacité.

Les célébrations de la Fête nationale sont l’occasion de leur rendre hommage.
Elles sont aussi l’occasion de nous rendre hommage à nous-mêmes pour les millions
de petites choses que nous réalisons ensemble quotidiennement et qui façonnent notre
identité collective, parfois à notre insu. Elles reflètent enfin l’espoir que nous
entretenons tous de léguer un avenir collectif encore plus certain aux générations qui
suivront.

Je nous souhaite à tous une belle grande Fête nationale, dans nos mots à nous, qui
se laissent porter par tous les accents.

Discours patriotique prononcé par
Pierre Bernier
Président ambassadeur
de la Fête nationale des Québécois et des Québécoises en Outaouais
le 23 juin 1999
au Parc des cèdres, à Aylmer, Québec


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