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CONTRE LA COLONISATION DOUCE

Contre la colonisation douce

Louis Cornellier(1)

"je ne réponds [,,,] que pour te préciser que ce combat qui s’annonce, et auquel tu veux bien ne pas être étranger, est le même que le combat anti-nucléaire ou antimultinationales, un combat très pacifique pour le droit d’être soi-même, en paix.

Tout cela est assez antidarwinien, je l’avoue – c’est-à-dire de gauche. Façon de marquer que nous sommes un peu différents des loups et des araignées, qui sont de droite, je veux dire de la jungle."

Dominique Noguez



Ceux qui ont à coeur la survie de la langue française et de toutes ses manifestations concrètes, ceux qui croient que, jugée à l’aune de l’écologie humaine, l’uniformisation de la planète constituerait plus un désastre qu’un progrès, ceux-là ont le devoir, toutes affaires cessantes, de lire (en réédition de poche revue et augmentée chez Arléa) la courageuse contribution au débat de l’écrivain français Dominique Noguez qui prend la forme de carnets titrés La colonisation douce. Ce livre, que les béni-oui-oui de l’américanisation et les collabos de l’aplatissement culturel auront tôt fait de dénoncer, est un manuel de combat, une grenade intellectuelle que les partisans de la pluralité linguistique à l’échelle du monde devraient porter en bandoulière, parée à être dégoupillée au besoin. Dominique Noguez parle de la France, et c’est dépité qu’il dresse un sombre constat de la colonisation culturelle qui s’y déroule en douce mais sur tous les fronts. Notre malheur, pour le dire ainsi, c’est que le propos nous éclairera aussi: le Québec, tout comme la France, n’échappe pas au fléau.

L’INDIFFéRENCE DES VICTIMES

Le phénomène est insidieux parce qu’il ne trouve, pour lui faire face, que l’indifférence de ses victimes. En France comme au Québec (et ailleurs aussi), la culture nationale tend à se folkloriser au profit de l’angloculture de masse qui investit le paysage sans qu’on lui oppose de résistance, voire avec l’assentiment d’une certaine élite qui y trouve même quelques vertus.

Noguez propose d’abord de dresser l’inventaire des parties atteintes. Dans l’Hexagone, le mal se répand et n’épargne presque rien: le cinéma français se tourne de plus en plus en anglais, les moyens de transport en sont envahis, toute la recherche scientifique ou presque ne se diffuse plus qu’en broken english (en langue anglaise mal maîtrisée), certains esprits soi-disant progressistes réclament ouvertement que l’on enseigne l’anglais dès la maternelle afin d’éviter aux petits Français un "retard", le choix d’une langue seconde à l’école devient un automatisme toujours dirigé dans le même sens, le commerce et l’industrie ne se posent même plus la question bien souvent et optent pour la langue de Mickey, même les prénoms d’enfants reflètent la tendance (Kevin, Christopher, Alison) et travailler en français seulement devient de plus en plus difficile. Cela, pour la langue, mais le reste est à l’avenant: modes vestimentaires, habitudes alimentaires, genres musicaux et, le pire, choix économiques et sociaux.

à quelques reprises, Noguez cite le Québec dont il fait un modèle de résistance à l’anglomanie. Cependant, une analyse, même sommaire, de notre situation oblige à nuancer l’hommage. Qu’on en juge par les quelques cas suivants qui suffisent à tracer notre "portrait en colonisé". à la télévision, nous informe Louise Cousineau de La Presse (30 janv. 1997), "les films américains ont occupé 58% de la programmation des longs métrages en 1996". à TVA, un record: 86%! à la radio, les stations dites "jeune public" (CKOI, CKMF et CHOM bien sûr) rechignent à privilégier le produit francophone aux heures de grande écoute. Carbone 14 intitule son dernier spectacle L’hiver/Winterland pour faire ouvert.

Le cas du cinéma ne nécessite presque pas de démonstration tant la domination américaine y est écrasante. Pour voir Titanic (un ramassis de clichés US dans un enrobage époustouflant), il fallait réserver son siège un mois à l’avance! Le comble, c’est que certains se faisaient une fierté des origines canadiennes du réalisateur James Cameron et de notre Celine chantant le thème du film, en faisant mine d’oublier qu’ils avaient dû, tous deux, bien camoufler ce "défaut" pour se fondre au moule des "majors" qui tolèrent mal la dissonance. J’ai même entendu dire, preuve s’il en est que l’oubli de nous-mêmes nous est devenu consubstantiel, que certaines églises du Québec ne répugnaient pas à faire entendre la dite chanson-thème ("My heart will go on") lors de rituels (services funéraires) qui devraient pourtant servir à nous réconcilier avec l’essentiel. Dans les clubs vidéos, les films québécois et canadiens sont classés dans la section "internationale"!

LE COMBAT POUR LA CULTURE

Enfin, pour ceux qui resteraient à convaincre, qu’on pense à tous ces cours de science, à l’Université, qui excluent de facto ceux qui ont le malheur de ne parler que leur langue (on écrit cela et on se pince) et qui imposent donc aux autres de se frotter à un univers d’une complexité sans bornes dans une langue étrangère mal maîtrisée neuf fois sur dix. Nous avons un gouvernement souverainiste qui veille au grain, direz-vous? Lisez celle-ci lue dans Le Soleil: "Bouchard prône la cause de l’anglais. Enfin quelque chose de vendable, disent les gens d’affaires." (31 oct. 1996) Et cela, sans parler de la ministre de la Francophonie fédérale, Diane Marleau, dont le chef de cabinet ne parle même pas français. à sens unique, toujours sans réciprocité.

Alors, on se dit qu’il faut réagir, on annonce notre intention, mais on n’a pas sitôt fini d’affûter ses armes que les accusations fusent. Ce combat, celui pour la culture, pour les cultures, celui de la persévérance et de la perpétuation de l’être, de la fierté, de la résistance à l’envahisseur (rendu tel plus par notre mollesse que par ses assauts) apparaît aux yeux de certains comme une lutte d’arrière-garde, une régression, un repliement sur soi. Pourtant, le courage, jusqu’à preuve du contraire, réside encore dans le parti pris du minoritaire assiégé, pas dans celui des forces de l’argent. Mais il faut le répéter, reprendre le message parce que les pleutres crient au racisme pour intimider ceux qui travaillent vraiment à le faire reculer: "Je souhaite et j’ai souhaité toute ma vie défendre les faibles contre les forts. La langue française est devenue désormais, il faut bien le dire, la langue du peuple, c’est-à-dire des pauvres et de ceux qui ne décident pas. Par conséquent ici, ce n’est pas sans émotion que je dis que je défendrais toute ma vie la langue française, parce que c’est devenu désormais la langue des faibles et des pauvres." (Michel Serres cité par Noguez)

Michel Serres, donc, un scientifique, mais qui fait ici figure de sage dans un laboratoire de cupides, obligé de défendre ce qui devrait relever de l’évidence (on est toujours plus à l’aise dans sa langue maternelle et donc, même en sciences, plus efficace) contre les démissionnaires qui font passer leur avancement pour celui de la science. Sur ce point, Noguez laisse éclater sa colère: "Assez d’indulgence et de complaisance: il est temps, sans doute, de remarquer combien les beaux discours sur la nécessaire "langue universelle" sont en réalité la couverture idéologique de la course au fric, à la notoriété, à l’ego, au Nobel, à par-ici-les-grosses-subventions-des-entreprises-privées!"

QUE FAIRE?

Que faire alors? Noguez suggère des pistes que je n’hésite pas à faire miennes. D’abord, évitez la diversion (genre Georges Dor et ses partisans). On ne parle pas ici des anglicismes et autres petits errements qui s’infiltrent dans la langue sans trop de dégâts ("Contre le purisme, écrit Noguez. Ne pas être trop dur pour les fautes de langue. Après tout, chaque langue latine est une série différente de fautes de latin."), mais bien plutôt du désir, quelquefois concrétisé, de se fondre dans la langue de l’autre (qui est, pour nous aussi, plus l’Américain que le Canadien) au point de ne plus se sentir exister que par cette trahison de son être érigée en dépassement. Cibler, donc, le bon combat, "le plus urgent à mener, celui de son [le français] avenir collectif", c’est-à-dire celui qui concerne le droit de vivre et de travailler en français.

Pour y parvenir, deux solutions. Premièrement, l’application d’une vraie loi linguistique, ce qui pourrait signifier le rétablissement de la loi 101 dans son intégralité (tant pis si cela empêche Bouchard de se regarder dans le miroir). Deuxièmement, l’école. Dans le contexte européen qui est le sien, Noguez suggère l’apprentissage de langues secondes autres que l’anglais. Ici, on voit les difficultés inhérentes à une telle approche, dont la moindre n’est pas la justification de sa pertinence dans notre contexte. Rien ne nous empêche, cela dit, de regarder ailleurs dans le cheminement scolaire pour y trouver une autre piste de solution. Un point de départ: "Lien évident entre le déclin du sentiment de la langue, la perte de l’identité, la colonisation culturelle et l’indécente, la sotte, l’exclusive promotion des mathématiques et des sciences "dures" au détriment des lettres (histoire et philosophie comprises) dans l’enseignement. Ceci explique probablement cela." à nous d’en tirer les conclusions qui s’imposent et dont la principale devrait être de remédier à l’idée actuellement répandue qui considère l’enseignement des lettres comme un baroud d’honneur des humanistes arriérés sur le point d’être déclassés, pour toujours et à jamais, par l’esprit de sérieux et l’efficacité des tenants des "vraies" sciences, c’est-à-dire pas les "humaines". Quitter l’abstrait des épiciers pour le concret de la langue qui donne accès à la conscience. Qu’on y pense: "Telle est toujours, décidément, l’alternative, pour nous, Français, et pour tous les peuples de la terre: défense acharnée de la diversité et enrichissement réciproque, ou déclin, asphyxie générale, mort par singerie mutuelle." L’avenir du monde s’y joue.

L’ACTION NATIONALE


1 Professeur de littérature au cégep de Joliette et rédacteur en chef de Combats.


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