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CALL ME CANADIAN

CALL ME CANADIAN !

Ceux qui s’intéressent aux racines se sont fait passer un sapin au
dernier recensement. Profitons du débat sur l’identité québécoise pour en parler.

Statistique Canada a ajouté «canadienne»à la liste des origines
ethniques figurant sur le questionnaire. Cela a eu l’effet d’une coupe à blanc parmi les
descendants des Anciens Canadiens. La population d’origine française a fondu de 7
millions en 1991 à moins de 4 millions en 1996.

Cette immolation des souches n’est pas celle que préconisent les
Gérard Bouchard. Si l’opération a décimé toutes les origines authentiques, les 9
millions de repousses n’entendent pas toutes la langue de Desjardins. Voilà que des
millions de Canadians unilingues anglais partagent la même origine avec des
millions d’unilingues français du Québec profond. Stéphane Dion en est enchanté: «It’s
great for the future. The more we will accept our two identities the more we will be able
to save the next century.
» Le nation-building à son meilleur.

Le Canada français n’y a vu que du feu. Par un éditorial cinglant
dans Le Devoir, André Laurendeau avait naguère tué dans l’oeuf la tentative du
gouvernement Diefenbaker d’ajouter «canadienne»à la liste des réponses suggérées au
recensement de 1961. Autre temps, autres origines? Ou pas d’origine du tout, comme le veut
le président de la SSJB dans sa plaquette, L’obsession ethnique?

Il faut lire The Ottawa Citizen du 17 au 23 février 1998 pour
s’informer intelligemment. Le sujet y a fait la une quatre jours d’affilée. On apprend
que Statistique Canada a cédé à des groupes de pression qui, sous le mot d’ordre Call
Me Canadian!
, ont fait campagne pour que les gens se déclarent d’origine canadienne
au recensement de 1991. Le Toronto Star a embarqué. Résultat : des centaines de
milliers de Canadians en Ontario. Statistique Canada s’appuie ensuite là-dessus
pour justifier sa manoeuvre de 1996.

Le lobby Call Me Canadian! vise en fait à éliminer la question
sur l’origine. L’un de ses activistes, un certain Maurice King, éditeur de la revue
fédéraliste Dialogue, juge que le maintien de différentes identités ethniques
sème la discorde. Cela place les droits collectifs et les intérêts de groupes au-dessus
de l’individu et du bien commun. Le Canada doit, au contraire, devenir un melting pot.
Sans quoi les Chinois de la Colombie-Britannique pourraient demander que le chinois
devienne langue officielle. Maurice King, Guy Bouthillier, même combat?

Appelé à s’expliquer, Statistique Canada use de son arrogance
coutumière. Pour le statisticien en chef, M. Ivan Fellegi, les Call Me Canadian!
étaient trop forts et menaçaient de boycotter le recensement. Résister à pareil
mouvement aurait été comme de cracher en l’air: dans ses propres mots, «It’s like
peeing in the wind. It blows back in your face
.» Il jure de maintenir la réponse
«canadienne/Canadian» au recensement de 2001.

Interrogé à ce sujet en comité parlementaire, le directeur de la
Division de la démographie à Statistique Canada, M. Réjean Lachapelle, prétend que la
question de 1996 sur l’origine était semblable à celle posée aux états-Unis.
Vérification faite par le Citizen, le U.S. Census Bureau fait des pieds et des
mains pour éviter que l’on donne «American»comme origine ethnique. Nous voilà
désormais mieux renseignés sur la population d’origine française en Louisiane que sur
celle du Québec.

M. Fellegi admet que «Canadian is not an ethnic origin by any
common-sense definition
». Le livret d’instructions du recensement de 1996 précise
que l’origine ethnique «ne doit pas être confondue avec la citoyenneté ou la
nationalité». La notion de groupe ethnique canadien n’a, en effet, aucun sens alors que
nous sommes tous de nationalité canadienne. Le livret ajoute que la question vise à nous
renseigner «sur la diversité ethnique et culturelle de la population du Canada. Elle
permet de recueillir les données nécessaires à l’application de la Loi sur le
multiculturalisme
et de la Charte canadienne des droits et libertés.» Autant
de lettres mortes si du même souffle nous invitons nos concitoyens de toutes origines à
disparaître dans le creuset statistique canadien/Canadian.

Pour justifier l’injustifiable, le statisticien en chef fait dans le Quebec-bashing.
Quand on lui suggère qu’il aurait pu éviter de proposer «canadienne» comme réponse en
faisant précéder la question sur l’origine d’un préambule du genre «While you
identify yourself as Canadian…
», il répond que le recensement aurait alors subi
les foudres («faced a backlash») des séparatistes québécois.

Or, une note semblable faisait justement partie de la question en 1991:
«Bien que la plupart des habitants du Canada se considèrent comme Canadiens, on
recueille des renseignements sur leurs origines ancestrales depuis le recensement de 1901
afin de retracer l’évolution de la composition de la population canadienne. Ces
renseignements sont nécessaires pour garantir que chacun, quel que soit son milieu
ethnique ou culturel, ait une chance égale de participer à part entière à la
vie économique, sociale, culturelle et politique du pays. Cette question porte donc sur
les origines ancestrales

Et cela n’a pas soulevé la moindre protestation au Québec.

Les données sur l’origine servent aussi à mesurer l’assimilation
linguistique. à ce propos, M. Lachapelle soutient que «depuis 20 ans, il n’y a presque
plus personne qui utilise ces données-là». Au contraire, elles demeurent essentielles
pour qui veut suivre l’évolution du français ou de toute autre langue en Amérique du
Nord.

Recoupées avec les données sur la langue d’usage, celles sur
l’origine nous renseignent sur l’effet cumulatif de l’assimilation au fil des
générations. Ainsi, on a pu constater que l’anglicisation de la population d’origine
française à l’extérieur du Québec était passée de 54% en 1971 à 67% en 1991. Cela
devenait sans doute gênant pour Ottawa. En Saskatchewan, par exemple, le recensement de
1991 comptait 66648 personnes d’origine française, mais seulement 7155 personnes
parlaient encore le français comme langue d’usage à la maison, ce qui représente un
taux d’anglicisation cumulative de presque 90%. Ce genre de calcul est maintenant
compromis: tout ce qu’on peut savoir en 1996, c’est qu’il n’y a plus que 5829 personnes de
langue d’usage française dans cette province.

Les données sur l’origine servaient aussi à mesurer la diversité
ethnique de la majorité de langue française au Québec, à montrer qu’elle ne se compose
pas exclusivement de «tricotés serrés». Elles permettaient encore d’étudier
l’intégration socioéconomique des immigrants de diverses origines dans les sociétés
d’accueil canadienne et québécoise, ainsi que le cheminement de leurs descendants
devenus de langue maternelle française ou anglaise.

Des chercheurs qui s’intéressent à la situation du français
demandent régulièrement à Statistique Canada d’ajouter au recensement une question sur
la langue de travail ou de lever l’incohérence actuelle de celle sur la langue
maternelle. Sans succès. Par le sabotage du renseignement sur l’origine, le gouvernement
canadien nous plonge dans une ignorance encore plus grande. Ottawa décide présentement
du contenu du questionnaire de l’an 2001. Si l’on veut disposer de données utiles pour
mieux connaître les sociétés canadienne et québécoise, faut-il comprendre que
Statistique Canada n’est sensible qu’aux méthodes des Maurice King?

Charles Castonguay
26, rue Val-Perché
Hull (Québec)
J8Z 2A6
(819) 776-1086

le 27 avril 1999


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